Plan numérique 2012 : La révolution numérique n’est pas qu’industrielle

Note de MemoireVive.tv
France Numérique 2012 - Élysée

C’était la troisième tentative. La présentation du plan numérique 2012 ayant déjà été reportée plusieurs fois de juillet à octobre, la déception s’est lue sur tous les visages quand Éric Besson a remplacé au pied levé Nicolas Sarkozy lundi dernier — la faute à la crise financière, bien sûr prioritaire.

On aurait en effet aimé voir comment le Président allait soutenir le numérique et soutenir la dynamique, engager le pays. Car ce n’est pas tant ce qui est dit qui compte que la façon dont cela est dit. Deuxième déception, il n’y a pas eu d’annonce forte. Le plan numérique «ne fait pas rêver». Le résultat présenté n’est pas lisible pour les Français. Il était plutôt étonnant d’avoir le sentiment d’être retourné en arrière, et pour faire bref, à la technocratie française, au top-down et à l’obsession pour les tuyaux. Comme si on n’avait pas tenu compte de la révolution numérique de ces dernières années — de l’Internet jusqu’au téléphone mobile, des blogs, de l’UGC, jusqu’aux réseaux sociaux — ni de ce que le web social et l’Internet des objets étaient déjà en train de changer en profondeur dans des pans entiers de notre société. La révolution numérique n’est pas qu’une révolution industrielle, c’est une révolution sociale qui place l’internaute au cœur de ce mouvement et non à côté.

C’était la première fois que tous les acteurs du numérique, des acteurs aussi variés, étaient rassemblés : des patrons de chaînes de télé, d’opérateurs, d’universités, des directeurs de multinationales et des plus grandes agences de publicité, des politiques, des acteurs indépendants (associations), des experts, etc. Mais il y avait trop peu d’entreprenautes.

Cela n’a pas dû être facile pour Éric Besson de produire un tel rapport, car il n’est pas un spécialiste du numérique — il le reconnaissait lui-même. Mais François Fillon, à La Cantine, ne manquait pas de rappeler à quel point, il était féru d’Internet et des technologies.

Il y a des mesures intéressantes dans ce rapport que les spécialistes n’ont pas manqué de relever (comme la création de 400 cyberbases dans les écoles, j’avais moi-même proposé de fortifier le réseau des Espaces publics numériques ou la promotion du télétravail). Mais il faut aller plus loin, pour les contenus, les usages, car la fracture numérique est puissante. Il faudra une puissante volonté d’action pour l’empêcher de croître, pour ne pas ajouter une nouvelle exclusion aux autres.

Je ne cache pas aussi que je regrette que les discussions que j’avais pu avoir avec Éric Besson et son cabinet autour de la néthique (voir le dîner des dix blogueurs), de la citoyenneté ou des mondes virtuels (voir l’atelier auquel j’ai participé) se soient comme évaporés et que le numérique ne soit pas perçu comme un outil d’émancipation pour les femmes (voir commentaire de Mine qui a compté le nombre de fois que le terme « les femmes » est cité dans le rapport). On continue de persévérer.

On ne pourra pas éternellement repousser une action réelle pour l’éducation, l’éthique, la gouvernance du Web, le développement durable et créer les conditions favorables à une autorégulation. Ces questions toucheront tout le monde. Nous avons donc encore tous beaucoup de travail pour stimuler la prise de conscience. C’est très bien de penser au troisième âge et de chercher à réduire la fracture numérique chez les séniors, mais les digitals natives grandissent, ils agiront, ils travailleront et ils voteront (peut-être)…

La crise financière nous a fait progresser en Europe, avec la formation de l’Eurogroupe. Quand l’urgence de cette crise majeure sera traitée, on peut penser que la France n’en restera pas là.

C’est donc aujourd’hui qu’il faut penser à nos valeurs et aux nécessaires repères. C’est le message que nous portons dans l’association Les Humains Associés dont je suis secrétaire générale, nous qui sommes devenus des humanistes numériques à l’aube du Web.

NB :
Mike Dertouzos, directeur au MIT :  » Les trois premières révolutions socio-économiques ont été fondées sur des objets : la charrue pour l’agriculture, le moteur pour l’industrie et l’ordinateur pour l’information. Peut-être le temps est-il venu pour une quatrième révolution, dirigée non plus vers des objets, mais vers la compréhension de la plus précieuse ressource sur Terre : nous-mêmes.  »

A lire aussi chez Olivier Ezratti : « Faites-nous rêver Monsieur Besson !« , Jean-Michel Planche : « Plan numérique 2012 : le plan escargot ? »

1 commentaire sur “Plan numérique 2012 : La révolution numérique n’est pas qu’industrielle

  1. Bonjour Natasha,

    D’accord avec ton analyse sur cette lacune « sociétale » du plan 2012.

    Les tendances sociétales échappent encore plus à l’Etat que la perspective de créer une vision industrielle. Elles sont plus difficiles à appréhender et à transformer en action politique. Et c’est un terrain assez glissant.

    L’exemple de l’éducation est flagrant. Le numérique a changé la vie de tous, et en particulier des enfants et adolescents. Pour le meilleur (communication, interactivité, accès au savoir) comme pour le pire (temps passé dans les jeux vidéos, le messenger à longueur de journée, la difficulté de valider les informations du web, etc). Et pourtant, dans les innombrables réformes de l’éducation nationale de ces 10 dernières années, et dans celle du secondaire qui est en cours, on n’entend jamais parler des adaptations pédagogiques qui pourraient être induites par le numérique. On entend juste parler d’équipement matériel, comme du temps du plan « Informatique pour tous » de Fabius dans les années 80. Pourtant, une remise en cause et un aggiornamento des pratiques pédagogiques est indispensable. Pourquoi personne ne prend cela véritablement en charge à part quelques échelons peu entendus du Ministère de l’Education Nationale ?

    La question sociétale concerne le rôle des citoyens dans la démocratie (peu évoquée dans le plan 2012), les transformations (potentielles) du management et du salariat, la relations parents/enfants, les relations sociales en général, la relation au temps (que l’on maitrise de moins en moins, devenant quelque peu esclave de nos outils numériques, la disparition progressive de la séparation entre travail et le reste). Le numérique a transformé profondément et graduellement la société, ou tout du moins la société s’est transformée en s’appuyant sur les possibilités du numérique. Et comme pour de nombreuses transformations, le politique court après plus qu’il ne les accompagne. Il est prosaïquement marrant de constater que la présentation de lundi matin à l’Elysée n’était pas webcastée en direct. Un basique ailleurs. Par exemple, dans la campagne électorale américaine, passionnante, où tout est disponible en direct et en différé !

    Maintenant, il ne faut pas baisser pour autant les bras. C’est mon approche pour ce qui concerne l’entrepreneuriat, insuffisamment traité dans le plan 2012. C’est un travail de lobbying sur la durée. Il en va autant pour le sociétal. Avec une difficulté supplémentaire consistant à transformer des idées en plan d’action concret à la portée du politique et des administrations qu’ils dirigent.

    Courage…

    Olivier

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